5)Quelle enfance a eu votre perso ? :
Printemps comme les autres dans un village rustique et campagnard du Nord, balayé par un vent froid et humide, épargné depuis plus d’un demi-siècle par les brigands et autres membres d’organisations. C’était traditionnellement durant cette période annonçant la prospérité à venir que les femmes du village donnaient naissance à une nouvelle génération et la jeune Keiko ne faisait pas exception à la règle, si ce n’est sur un point, elle était une jeune mère célibataire d’un peu plus de dix-sept ans. Autre point important dans son cas, son cœur était rempli d’une haine sans nom, noirceur qui contrastait avec ses traits pâles et fins. Abandonnée par le voyageur dont elle s’était éprise une simple nuit, elle ruminait sa colère, la masquant derrière une attitude douce de guérisseuse. Enfermée dans l’arrière-boutique, elle mit toute sa rage à donner la vie à cet être qu’elle aimait et haïssait en même temps. Sa propre famille l’avait laissé derrière elle lorsque son état avait été officiel même si leur prétexte avait été de trouver un lieu de vie plus clément, profitant de sa grossesse avancée pour l’empêcher de la suivre. Retenant ses hurlements de douleur et ses larmes de rage, l’enfant vint au monde et au grand soulagement de Keiko, ce fut une fille dotée déjà d’un ou deux cheveux de la même teinte que les siens. Ce ne fut que lorsqu’elle vit la teinte marron-ocre de son regard qu’elle ressentit sa haine refaire surface. Les yeux de son père, de ce traître… Elle finirait par se venger, de cela, elle était certaine.
En quelques années, les événements s’enchaînèrent, échappant au contrôle de la jeune femme tandis qu’elle perdait peu à peu le bon sens qu’elle avait encore.
Lorsque sa petite fille, nommée Saeko appris à ses deux ans à marcher convenablement seule, Keiko se mit à entendre des messes basses sur son compte, rumeurs sur son identité et ses activités. Au détour d’un chemin, elle entendit de jeunes mères se faire l’éloge entre elles de leurs rejetons respectifs. Pensant qu’il s’agissait là d’une opportunité de se réconcilier avec les villageoises, elle prit sa petite fille aux yeux flamboyants par la main, faisant quelques pas dans leur direction, pleine d’espoir. Ce fut à ce moment-là qu’elle entendit ces femmes dire de Saeko qu’il s’agissait d’une enfant porte-malheur, d’un être qui n’aurait jamais la même valeur que leurs propres enfants déjà vaillants et robustes. Le rejet, en bloc, fut tout ce que cette enfant-mère reçut d’elles et en prime, lorsqu’elles virent que leur sujet de conversation était présent juste là, elles se couvrirent le visage avec une sorte de mépris et dégoût puis firent signe de partir. Lorsqu’elles se dispersèrent, la petite Saeko put sentir contre sa peau blanche une gouttelette glisser puis, en levant les yeux, son regard d’enfant se posa sur le visage déconfit et atterré de sa mère. Sans bien comprendre pourquoi, elle ressentit un frisson que sa mémoire non formatée occulta quelques temps plus tard.
Véritable premier souvenir de Saeko, pour ses six ans, elle se rappelait des gens en pleurs dans un endroit dégagé où des monuments de pierre se dressaient. Sa main tenue par sa mère au visage voilé de noir, elle assistait une nouvelle fois à un enterrement. C’était le troisième en moins de deux semaines et personne encore n’avait remarqué l’expression de la guérisseuse à cet instant. Mère attentionnée, elle formait déjà sa fille à se familiariser avec le sang, les blessures et ce qu’il fallait pour soigner. Qu’il s’agisse d’un banal rhume à des points de suture à mettre, la fillette montrait déjà une sorte d’intérêt presque morbide dans ce type de sujets. Parfois, certains soirs, sa mère rentrait avec de nombreuses coupures ou les paumes des mains blessées de morceaux de verre. Patiemment, l’enfant utilisait pince et bandelettes pour soigner les plaies, ne pouvant que ressentir l’atmosphère oppressante qui régnait dans leur maison. Jamais elle n’était autorisée à parler sauf lorsqu’une question lui était directement posée par sa mère qui, en revanche, la laissait vagabonder à son gré lorsqu’elles avaient fini les leçons de lecture ou écriture voire autre que Keiko pensait indispensable.
A ses huit ans, Saeko portait les cheveux longs de sa mère, coiffés en chignon retenu par un ruban consistant en un morceau de toile tout simple. Son aspect presque fantomatique par une peau d’une pâleur cadavérique lui valait la peur ou l’aversion des autres enfants de son âge, soit la fuyant soit lui cherchant querelle. La petite gardait perpétuellement une expression neutre, comme arborant un masque, tout particulièrement lorsqu’elle se mesurait à des garçons forts et sûrs d’eux. Rien ne semblait la faire réagir sauf si l’on disait de sa mère qu’elle était une sorcière. Là, la fillette exécutait des coups douloureux du bord de la main, dansant sur les pas enseignés par sa mère, esquivant les coups de poing mal assurés de ses adversaires jusqu’à les projeter dans les poubelles. A ce moment-là, si on lui avait demandé si elle réagissait ainsi par amour pour sa mère, elle aurait répondu qu’elle ne supportait tout simplement pas qu’on lui fasse perdre du temps. Rituel peut-être, si elle faisait couler du sang, elle prenait toujours le temps de soigner son adversaire assommé avant de repartir. Il n’y eut qu’une seule fois où, n’ayant pas vu son adversaire, elle avait été blessé sérieusement pour la première fois. Sans aller pleurer auprès de sa mère, elle sortit du village, trouva un cours d’eau terriblement froide dans lequel elle plongea son avant-bras droit blessé et sur lequel elle apposa elle-même quelques points de suture. Lorsque sa mère remarqua les points, elle la félicita de se montrer autonome et débrouillarde, l’encourageant à ne jamais oublier ce qu’elle lui avait appris jusque-là.
L’année d’après, par une journée pluvieuse, la fillette se laissa aller à expulser tout son mal-être. Le jour précédent, les miliciens du village avaient débarqué dans la boutique, attrapant Keiko et l’accusant d’avoir empoisonné les enfants décédés quelques temps plus tôt. Il n’y eut pas besoin de violence, sa mère avoua bien être la coupable de ce crime et l’annonça de nouveau bien fort lorsque, à genou, sur la place du village, son bourreau aiguisait sa hache. Saeko s’était approché pour entendre ses dernières volontés, stoïque malgré son jeune âge et déjà mûre grâce à son éducation, ainsi qu’un ordre strict.
- Saeko ! Enfant de mon malheur que j’aime et déteste, je t’interdis de t’interposer. Retourne à la boutique, prend le sac que j’ai caché sous le comptoir et va t’en d’ici.
- Mère…
- Je ne t’ai pas donné la parole ! Obéis et c’est tout !
- …
- Quant à vous, vous qui m’avez rendue telle que je suis, je vous maudis, tous autant que vous êtes ! Vous pouvez tous disparaître !
N’attendant pas, Saeko quitta la place, attrapant le sac que sa génitrice avant préparé pour elle et se retourna au dernier moment lorsque les tambours cessèrent. La hache s’abattit, la faisant détaler dans le vent et le froid du Nord, un lourd manteau sur les épaules. Ce ne fut qu’une fois certaine qu’elle se trouvait assez loin du village que la petite usa de toute la force de ses poumons pour pousser un hurlement de bête blessée mais ne parvenant pas à verser plus de quelques larmes. Combien de temps elle passa à vivre ainsi, sans voir personne, reste un mystère. Chacun des jours passés l’avait obligé à traquer de petits animaux comme des lapins et à ne faire preuve d’aucune pitié pour survivre. Keiko lui avait transmis cette rage de vivre qui lui permettait de marcher sans relâche, la tête haute et sans la moindre expression douce ou fragile.
Au cours du mois de sa fuite, alors qu’elle était sur le point de ramasser un lapin qu’elle avait piégé, un loup blanc le lui vola sous le nez et une course-poursuite s’ensuivit au terme de laquelle, une voix humaine l’interpella. Adossé contre un rocher, couvert de sang, un jeune homme d’une vingtaine d’année tapotait la tête du loup apprivoisé. Voyant le sang sur les vêtements, la fillette ne réfléchit plus et s’attela à soigner cette personne, lui fournissant de quoi s’alimenter jusqu’à ce qu’il puisse de nouveau marcher. Il se nommait Hotaru Shiroharu, lui racontant qu’il avait perdu les membres de son équipe et s’occupant en racontant histoire sur histoire au sujet de ce qu’on appelait les « shinobi ». Malgré son air indifférent, Saeko était particulièrement intriguée par ce système inconnu, n’ayant jamais vu ni entendu auparavant parler de ninja. Sans bien comprendre comment, elle se retrouva bientôt sous la tutelle de ce jeune homme qui la mena avec lui jusqu’au village de … no Kuni. Malgré son âge, il la fit entrer à l’académie ninja où les cours, bien que différents de tout ce qu’elle connaissait jusque-là, la passionnaient beaucoup. Manier les shurikens, apprendre les bases sur le chakra, toutes ces choses étaient approfondies auprès du shinobi qui l’avait recueilli.
Chaque soir et jusqu’à une heure tardive, dans la pièce qui lui servait de chambre, la jeune fille s’exerçait. Rangeant son futon, elle libérait l’espace et doucement, yeux fermés, elle s’entraînait à des enchainements de taijutsu contre un ennemi inexistant. Lors de l’un de ses essais, son bras gauche fut rudement paré par son tuteur qui la repoussa fortement. Effectuant un salto, atterrissant avec une main au sol pour la retenir, elle redressa la tête, un regard dangereux posé sur l’importun. Voyant cela, son tuteur esquissa un sourire et en moins de temps qu’il n’en fallut pour le dire, il revint avec des poids qu’il accrocha aux membres de la petite. A partir de cette soirée, et jusqu’à ce qu’elle ne puisse plus tenir debout par elle-même, il l’obligea à l’affronter. Bienveillant, il ne pouvait que se rendre compte qu’il devait être la seule personne à qui elle dise parfois un mot et était bien décidé à en faire une kunoichi de soutien sur laquelle on pouvait se reposer en toute confiance. Si cela se trouvait, il réussirait à transformer la rage de vivre qui l’habitait en une rage de protéger les futurs équipiers qu’elle côtoierait mais lorsqu’il reçut un coup de pied violent dans l’estomac suite à un instant d’inattention, il eut quelques doutes.
Quelques mois après qu’elle ait passé son treizième printemps, conservant ses poids aux membres, son tuteur revint d’une mission gravement blessé et malgré la rapidité avec laquelle elle lui administra des soins, son manque de connaissances en la matière fit que peu après être entré à l’hôpital, il tomba dans un profond coma. Une nouvelle fois Saeko se retrouvait seule… Mais bien loin de s’apitoyer sur son sort, elle décida qu’elle devait aller de l’avant et trouver quelqu’un apte à lui enseigner tout ce qui ferait d’elle la meilleure medic-nin du village. Passant devant un miroir, elle vit son chignon qui lui rappelait sa mère, détruite par la haine et qui avait également annihilé l’objet de cette haine. Quelques temps après son arrivée, elle avait appris de la bouche de Hotaru qu’un gaz mortel s’était répandu en pleine nuit dans le village, asphyxiant la quasi-totalité des habitants, hormis quelques personnes âgées et un ou deux enfants. Se saisissant d’un kunai posé là, elle attrapa son chignon et le trancha net ainsi que sa frange, ne laissant qu’une mèche décorée d’un cadeau de son tuteur intacte. Etui à shuriken à la jambe gauche, sacoche à la taille, regard et poings déjà habitués au sang, la gamine avait décidé de se prendre en main. Le chemin vers le passé étant définitivement coupé, la seule voie qui reste à cette adolescente est celle de l’avenir.